Une Rencontre

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Nantes. Il est des histoires vécues tellement hallucinantes, que lorsque l’on les raconte, personne ne veut vraiment vous croire…

Celle-ci est de cette trempe, une histoire qu’un vieux sage malien aurait pu me raconter, début août de cet été 2000, allongée sur une paillasse, un peu effrayée, je l’aurais écouté nous conter la magie et la fatalité africaine se mêlant au destin des hommes… Sous une pleine lune qui nous observerait de derrière les nuages… Un air de sorcellerie se faufilant entre les arbres, qui souffleraient doucement au gré du vent humide de cette longue saison des pluies, je l’écouterais, comme une enfant qui attend la suite…

11 ans plus tard, sous une pluie légère, presque bretonne et presque semblable à cette nuit là, la suite s’écrit encore, et la magie opère toujours…

C’est Aurélia qui l’autre jour, a déclenché le processus… en « googleisant » le mot « Kodié » pour avoir d’éventuelles nouvelles de ce petit village et ses habitants auxquels on avait rendu visite, à l’été 2000…

4 filles de 20 ans… une envie inassouvie de se rendre utile… 2 camions… beaucoup d’amis et de soutien, une association… 2 ans de préparation… du matériel scolaire qui déborde des cartons… 12000 kilomètres, au moins… Des ornières parfois profondes… un désert long et chaud, une marée mauritanienne qui faillit avoir raison de nos cahiers et crayons… Une saison des pluies… 5 passages de frontières… Un objectif : Kodié, Mali.

Aurélia me montre la page Facebook qu’elle a dégotée : une asso de soutien au développement du village de Kodié. Un clic, un message, 2 jours plus tard me voici en discussion avec Mahamadou Cissé, le président de cette jeune association basée en région parisienne… Il a 24 ans et fait des études de langues à Paris. Il est né à Kodié… Le fil de la conversation nous amène à l’été 2000 :

« Ah oui, si je ne me trompe pas, j’ai assisté à l’arrivée d’un groupe humanitaire vers 2000. Il amené des fournitures scolaire. Avec une fourgonnette et une Renault 21 je crois. C’était vous ? »

C’était nous ! Mahamadou Cissé, actuel président de l’asso de soutien à Kodié, qui vient de monter avec succès un projet de soutien à l’école de son village… Il avait 13 ans lors de notre venue à Kodié ! La rencontre et la discussion qui s’en suivent reste encore pour moi de l’ordre de quelque chose d’insaisissable… Il me donne des nouvelles du village, de l’école, de nos véhicules, pas glorieux à l’arrivée… de sa vision de notre venue… Je lui raconte que notre asso, Indi ko, n’existe plus, il me rétorque que si, elle existe bel et bien au travers les actions de son association ! Un bébé Indi ko en quelque sorte… et la suite est plus troublante encore…

La descente de Nantes jusqu’à Kodié a été superbe et progressive, des kilomètres de paysages, entre océan et désert, puis entre trous d’eau et réels torrents de pluies… Liberté et découverte de soi au travers cette route du grand Sud, guidés par l’objectif commun de vouloir apporter notre grain de sel à ce monde, qu’on voulait plus humain et plus égalitaire.

Le retour a été plus brutal. En avion, nous parcourions en quelques heures le chemin que nous venions de faire en 3 semaines. Et une rencontre avec l’Afrique, ça prend le temps de se digérer, ça n’entend pas tout de suite les examens de rattrapages à la fac, le boulot pour gagner sa vie, et tutti quanti… Pourtant, il a fallu mettre, un temps Kodié de côté. Le Mali et les écoliers de Kodié, qui étaient devenus notre « raison de vivre » depuis 2 ans, sont devenus petit à petit lointains, et tellement difficilement partageables…

Cette conversation inattendue via internet, ce retour à Kodié, 11 plus tard était plus qu’extraordinaire. Je réalise alors que peut être je l’attendais depuis toujours. Le retour d’un écolier de Kodié, qui a pu faire des études, et qui lui-même s’active aujourd’hui pour développer et soutenir l’éducation scolaire dans son village… C’est fou tout ce qu’il représente. Je me sens liée à ce « petit frère » du Mali. Kodié… Cette école qu’on a tant « vendue » en quête de subventions et de moyens nous permettant de réaliser notre descente au Mali par la route ! Cette école et ce village qu’on a tant espéré voir venir, au terme d’un voyage semé de multitudes d’embûches… Premières expériences du pouvoir et des méfaits de l’action et de la vie collective…

Et la suite…

Après cette discussion surprenante pour l’un comme pour l’autre, curieux de tirer le fil de cette rencontre, finalement inopinée, Mahamadou me demande si je n’ai pas des photos de notre arrivée à Kodié… Lui se souvient plus des ballons de foot que du matériel scolaire, m’avoue-t-il ! Je réalise alors que les quelques années qui nous séparent, me rangent définitivement dans le clan des « plus de 30 ans » quand je lui annonce que oui, j’ai des photos, mais qu’il faut d’abord que je les numérise…

Objectif : Kodié. On y est. C’est finalement en 4×4 que nous finissons les 9 derniers kilomètres de notre long périple de Nantes jusqu’à Kodié. J’ai perdu au moins 8 kilos… Le désert, la malbouffe, les pluies et les moustiques ont presque eu raison de notre joie à voir enfin le panneau d’arrivée… Le C35 va rendre l’âme après ce trou d’eau qu’on avait dû mal estimer… La Nevada reste en forme mais mériterait une bonne révision… L’arrivée à l’école est quelque chose d’irréel. Le message de notre arrivée est passé vite et malgré les vacances, tous les gamins de la région s’entassent autour de nos véhicules… Combien sont-ils ? 200 peut être 300… Délivrance pour ces cahiers, crayons, bouquins d’éditions Maliennes et ballons de foot, les plus attendus… Ces enfants si joyeux et étonnés de nous voir, Toubabs venus d’on ne sait où, leur apporter ce que le maître avait, pour eux commandé… Clic clac un sourire pour la  postérité… Je photographie avec plaisir cet objectif atteint : l’installation du matériel dans l’école devant des minots réjouit, une victoire, un but atteint…

Clic Clac, puis d’un clic Mahamadou ouvre sa boite mail, télécharge cette vieille photo scannée datant de… 2000. Quelques enfants posent pour la postérité devant un bureau en bois qui a fait 12000 Kilomètres pour arriver… Accroupi à droite de la photo, le petit Mahamadou Cissé, 13 ans, fixe l’objectif d’un air déterminé…

Lui-même, le président de l’asso en personne ! Sur ma photo argentique de minot de Kodié. Parmi tous ces enfants qui couraient ce jour-là autour d’un étrange camion bleu EDF…

C’est juste fou, cette histoire… Retrouver un écolier de Kodié passe encore, qu’il soit devenu président d’une asso de soutien au village, pourquoi pas, qu’il  se souvienne de notre arrivée, d’accord… Mais qu’il se reconnaisse sur l’une de mes photos, pas si nombreuses de  notre arrivée au village…J’ai du mal à m’en remettre…

Et le summum, lorsque lui-même m’envoie sa photo, celle d’un jeune homme de 24 ans, au même regard perçant, remettant lui-même du matériel à cette école de Kodié, qui l’a vu grandir…entouré d’une multitude de petites bouilles…

Coïncidence ?

Si la sorcellerie africaine ne s’est pas mêlée de cette rencontre, je veux bien arrêter de raconter des histoires vraies…