Le volontariat : un levier de développement pour l’Etat du Cameroun

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Le Cameroun, pays d’Afrique Centrale avec une population de 20 millions d’habitants, est un pays au potentiel impressionnant. On y recense plus de 200 groupes ethniques qui matérialisent  la diversité culturelle  et justifient l’appellation d’« Afrique en miniature ». Au plan géographique, les avantages climatiques ne sont plus à démontrer car le Cameroun est un pays au potentiel agricole étonnant. La population est essentiellement jeune et pour les stratèges en planification, c’est cette jeunesse qui constitue le fer de lance de la Nation camerounaise.

Sans vouloir faire une présentation plus détaillée de tous les avantages naturels et de toutes les possibilités encore non exploitées, nous voulons souligner que l’Etat du Cameroun est engagé dans de grands chantiers structurels,  le document de stratégie pour la croissance et l’emploi (DSCE) étant porteur de cette vision d’un Cameroun  émergent en 2035. Ce qui signifie que toutes les couches de la société, en particulier la jeunesse, sont interpellées pour apporter une contribution à cette œuvre de construction nationale. En sommes-nous capables ? La réponse est sans aucun doute affirmative mais il faut que les outils adéquats soient mis à la disposition des parties prenantes  au moment opportun.

En parlant d’outils, nous pensons à des mécanismes de mobilisation des énergies positives telles que le volontariat. C’est un concept millénaire qui prône un engagement libre, solidaire et civique, sans distinction de sexe ou de religion, dans des actions de développement. De ce fait le volontariat peut, ou doit être, un levier sur lequel tirer pour permettre à un peuple de s’impliquer dans la construction de l’édifice national.

Pour le cas du Cameroun, ce levier nous semble  être  la voie royale pour le développement. Si tel est le cas, il est important d’interroger la stratégie mise en place pour capitaliser le potentiel de la jeunesse camerounaise.  Le volontariat peut-il  aider à surmonter les obstacles à la construction de la Nation camerounaise que sont l’incivisme, le tribalisme, le mépris des causes d’intérêt général, le manque de solidarité nationale ? Que faire pour matérialiser cette mobilisation ?

La gestion du potentiel de la jeunesse au Cameroun

La jeunesse camerounaise est très dynamique, on la retrouve dans tous les secteurs de la vie sociale, de l’artisanat à l’enseignement supérieur; elle « lutte» pour démontrer ses compétences et ses connaissances malgré des conditions de vies difficiles et des débouchés quasiment inexistants.  Le Cameroun produit chaque année des milliers de diplômés de l’enseignement supérieur et des grandes écoles, des instituteurs, des infirmiers qui, bien qu’en nombre insuffisant, ne parviennent pas à trouver d’emploi. Beaucoup de jeunes se retrouvent de ce fait livrés à eux mêmes, sans aucune possibilité de se rendre utiles pour la Nation. L’Etat du Cameroun a élaboré une politique nationale pour la jeunesse en 2006(1)  qui s’avère être une goutte d’eau dans un océan tant la situation est préoccupante.

Sans vouloir porter de jugement politique ou sombrer dans une critique improductive, nous pensons que le potentiel de la jeunesse camerounaise n’est pas efficacement valorisé dans les différents programmes « budgétivores » mis en place par le Ministère de la jeunesse. Comment peut-on donner la possibilité  aux jeunes, sans distinction de sexe, de formation ou de religion, de s’impliquer dans des actions de développement si ce n’est à travers le volontariat ?

Les pouvoirs publics le savent et  c’est la raison pour laquelle l’agence de service civique de participation au développement a été  mise en place  en 2012. Seulement, depuis sa mise en place, nous attendons encore de percevoir la mobilisation qu’elle suscite auprès des populations.

Les nouvelles sont plutôt mauvaises car selon les médias, les crises internes se multiplient (deux Directeurs Généraux en 2 ans, une grève de la faim organisée par une trentaine de jeunes limogés de cette agence en  mai 2014).  Le bilan est tout sauf élogieux, d’autant plus que les orientations stratégiques de cette structure ne permettent pas aux citoyens  disposant de compétences  pratiques de se mettre à la disposition d’une action de développement.

Le but de cette réflexion n’est pas de faire un bilan de l’agence de service civique  nationale de participation au développement, mais nous pensons que l’environnement du volontariat au Cameroun reste à construire. Un Corps National des Volontaires camerounais nous semble plus mobilisateur des compétences et plus apte à accélérer le développement du pays parce qu’il est porteur d’une dynamique nouvelle, il mobilise les compétences locales dans la lutte contre le sous-développement et permet de faire reculer les freins au développement que nous avons cités plus haut.

Le volontariat : un moyen efficace face à
l’incivisme et au mépris de l’intérêt général

La société camerounaise est confrontée aux problèmes de l’incivisme et du mépris pour les causes d’intérêt général, c’est une réalité qui est visible après quelques minutes dans les lieux publics. Les jeunes particulièrement excellents dans des actes inciviques ont très peu conscience de l’intérêt général et de la participation qui devrait être la leur dans la conservation des édifices publics, par exemple. Cet éloignement, l’indifférence de cette jeunesse face aux actions collectives sont préjudiciables pour la construction de la Nation et il est impératif de recadrer ces volontés dans le bon sens. Le volontariat s’avère être un outil efficace pour y parvenir.

En effet, impliquer les populations dans le processus de développement est une garantie pour sa réussite, de même impliquer les jeunes dans des initiatives les responsabilise, raffermit leurs relations avec l’entité Cameroun et leur donne la possibilité de jouer un rôle dans la construction de l’édifice national.

Beaucoup de jeunes sombrent dans l’incivisme parce qu’ils sont ignorants de leurs rôle au sein de la société. Qu’est ce qu’ils doivent y faire ? Qu’est ce que celle-ci attend d’eux ? La jeunesse est malheureusement habituée à jouer le rôle de spectateur  et il est temps de renverser les rôles et de lui donner sa vraie place. La mise en place d’une dynamique réelle de volontariat au Cameroun impliquant toutes les couches de cette jeunesse va renforcer le sentiment d’appartenance et améliorer qualitativement les comportements au sein de la population.

Le volontariat : un moyen de lutte contre le tribalisme

On peut définir le tribalisme comme étant l’organisation de la société en tribus, mais il faut reconnaître  qu’un trop grand nombre de tribus  peut devenir un problème si ces tribus se trouvent au sein d’un même territoire  et doivent se soumettre aux lois d’une même  entité étatique.

Au Cameroun, où l’on recense plus de 200 tribus, le tribalisme est une réalité  et un obstacle réel à la construction de la Nation. Les pouvoirs publics en sont conscients et un travail sérieux est effectué pour éradiquer ce phénomène. Le volontariat peut contribuer à renforcer les politiques gouvernementales dans la mesure où il n’y est pas question de regroupement ethnique mais plutôt de mise à disposition des compétences au service du développement.

En effet, avec un Corps National des Volontaires camerounais, les échanges au sein de la population seront renforcés parce que les volontaires du sud contribueront à réaliser des  activités à l’Ouest du Cameroun, ceux de l’Est au Nord, etc. C’est une dynamique positive pour raffermir les liens entre les peuples du Cameroun car en réalité l’enjeu est d’inculquer à la jeunesse des valeurs de responsabilité.

Un camerounais  devrait se sentir interpellé  par les problèmes des zones les plus reculées du pays. En mettant en place une dynamique de volontariat au Cameroun, des jeunes instituteurs du Sud iront renforcer les effectifs des associations et ONG exerçant dans le domaine de l’éducation au Nord ou à l’Est du pays  où ce besoin est une priorité pour le développement. Le volontariat va faire reculer les replis identitaires et faciliter l’intégration des peuples, donc l’unité nationale.

 La création du Corps National des Volontaires du Cameroun

L’homme est à la fois fin et moyen du développement. Cette pensée  maintes fois citée résume la place qu’occupe nécessairement la population tant dans les moyens que dans les objectifs de la planification du développement. Le planificateur, à la recherche d’une combinaison optimale des facteurs de production dans le but d’atteindre des objectifs raisonnables, doit tenir compte d’un certain nombre de critères objectifs. Les compétences des populations, les  savoir-faire des jeunes camerounais doivent être pris en compte, valorisés. Un Corps National des Volontaires du Cameroun serait une plateforme pour mobiliser et rassembler ces compétences autour des objectifs de développement.

La réflexion  sur le volontariat au Cameroun est effective depuis les années 70 (2) où le Cameroun est passé de l’Office National de Participation au Développement fonctionnelle  de 1973 à 1990 à l’Agence de  Service Civique National de Participation au Développement (3) mise en place depuis 2012 (4). En effet, si la première structure avait pour but de limiter l’exode rural en octroyant des formations aux nécessiteux, la seconde n’en est pas éloignée non plus car elle assure la continuité de la vision  du Président Amadou Ahidjo.

Seulement, si ces structures  sont mises en place pour donner des formations aux personnes sélectionnées, que fait-on de celles qui disposent des compétences pratiques et qui ont la volonté de se mettre au service du développement ? Ne sont-elles pas utiles si on veut impacter efficacement le développement du Cameroun? Il est clair que le Cameroun ne saurait continuer de se contenter de cette approche de volontariat approximative,  sinon pourquoi dépenser des milliards  chaque année pour former des professionnels ?

Un Corps National des Volontaires camerounais est aujourd’hui un impératif car les jeunes sont prêts et ne demandent qu’à être pris en compte. La situation économique est mise en avant pour justifier des erreurs stratégiques comme celle-ci, mais sans être expert des questions économiques, nous pensons qu’un Corps National des Volontaires du Cameroun  serait plus bénéfique qu’une agence de participation au développement à 2 milliards de budget  annuel mais aux résultats mitigés.  Une dynamique de volontariat ouverte à toutes les ressources humaines du Cameroun va apporter un nouveau souffle à  plusieurs secteurs d’activité, notamment au secteur du travail et  de l’insertion professionnelle et à la société civile qui est en phase de maturation et d’affirmation au Cameroun.

Dans les pays développés, le volontariat est  un pilier de la politique de jeunesse, il implique le secteur du travail et de l’insertion professionnelle parce qu’il permet à des millions de jeunes formés d’avoir soit une première expérience de terrain, soit une opportunité d’ouverture au monde de l’emploi. Dans le contexte camerounais, avec les besoins que nous connaissons pour les jeunes, un Corps National des Volontaires donnerait l’occasion à ces jeunes ou adultes de faire leurs preuves sur le terrain et de se mouvoir dans un environnement qui se caractérise par son opacité.

La société civile  également  tirerait grandement profit d’une dynamique de volontariat au Cameroun car elle ferait un saut qualitatif dans la conduite de ses activités  et programmes si les associations et autres ONG camerounaises étaient en partenariat avec des organisations de volontariat international telles  le VSO, Peace Corps, France Volontaires…etc.

Un Corps National des Volontaires camerounais se présente  alors ici comme le lien entre les compétences locales et les organisations impliquées dans les problématiques de développement du Cameroun.

Ces OSC camerounaises investissent des sommes non négligeables pour garantir le bon déroulement des missions des volontaires des pays amis parce que sur place ils ne disposent d’aucune alternative. Un Corps National des Volontaires camerounais est une opportunité pour toutes ces organisations qui auront la possibilité de mobiliser des volontaires à moindre coût et de faire un saut qualitatif dans l’accomplissement de leurs missions de développement.

Réfléchir sur le développement  du Cameroun et l’implication de la jeunesse dans ce processus est un exercice qui amène à passer en revue les politiques et initiatives  mises en place par l’Etat  en faveur de la jeunesse et de sa participation au développement. Bien que le volontariat soit un concept millénaire, il n’est  intégré par l’Etat du Cameroun  dans les politiques nationales qu’à  partir des années  1970. Depuis lors des mesures sont prises mais force est de constater que, comme dans beaucoup d’autres domaines, les actions menées ne sont ni suffisantes ni stratégiquement adéquates.

A l’heure ou le Cameroun dispose d’un grenier de professionnels dans tous les domaines, au regard des problèmes liés à l’insertion professionnelle des jeunes, nous sommes d’avis avec Monsieur Koffi ANNAN que : « Progresser dans la voie tracée par la Déclaration du Millénaire et dans la réalisation des objectifs de développement qui y sont énoncés, c’est l’affaire de tous, partout dans le monde. Le volontariat  reste à cet égard un moyen efficace d’apporter sa contribution. Que ce soit sur le terrain au sein des communautés ou devant l’écran  de son ordinateur, le volontariat permet à tout un chacun d’accomplir des tâches extraordinaires. Les contributions ainsi apportées ont une importance capitale, que l’on choisisse de s’attaquer à la pauvreté, à la faim, à la maladie et à l’analphabétisme, ou que l’on s’emploie à sauvegarder l’environnement mondial ou à protéger les femmes contre la discrimination et la violence »(5).

Il est de ce fait  stratégiquement inopportun de penser le volontariat  au Cameroun en terme d’Agence de service civique de participation au développement uniquement. Cette agence est la continuité de l’office National de Participation au Développement crée en 1973 par  le Président Amadou AHIDJO pour lutter contre l’exode rural. Ce dispositif doit être renforcé par un Corps National des Volontaires camerounais qui  va prendre en compte les citoyens  disposant des compétences, car c’est ainsi que se bâtit une Nation.

L’émergence ne se décrète pas, c’est le résultat d’une dynamique constructive portée par toutes les couches de la société. Le rôle de l’Etat c’est de mettre en place des outils de mobilisation, d’instaurer un cadre permettant la prise en compte et la capitalisation de toutes les volontés disponibles. La jeunesse exprime ce besoin depuis des années, elle a besoin de s’approprier, de faire corps avec la vision du développement de manière efficace et efficiente. Malheureusement  les actions  d’utilité politique sont préférées aux actions efficaces.

 

 

ORIENTATIONS BIBLIOGRAPHIQUES

Ouvrages

   Mbembe J.Achille, Les jeunes et l’ordre politique en Afrique Noire, Paris, l’Harmattan, 1985.
–   Fohopa Rémon et al, L’emploi et la formation au Cameroun, l’enquête génération 2000, Yaoundé, Proximité, 2006.

Articles et revues

–   DORIVAL Camille et  LAMANT Ludovic,  le volontariat en quête de légitimité, in alternatives économiques no 239, septembre 2005
–      Mbonda Ernest -marie,  Le cinquième pouvoir en Afrique : la société civile et le droit de résister, in Patrice Yengo (éd.), Résistances et dissidences, Rupture-solidarité N° 4, Paris, Khartala, 2002.

 

Rapports et autres Documents

–   Programme des volontaires des Nations Unies, rapport sur la situation du volontariat dans le monde, novembre 2011.

–     MINEPAT/CTSE, (Septembre 2009).  Document de Stratégie pour la Croissance et l’Emploi.  Cadre de référence de l’action gouvernementale pour la période 2010-2020

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(1) AMINJEC, Politique national de la jeunesse, Yaoundé, Octobre 2006.
(2) La loi  n° 73/4 du 9 juillet 1973 instituant l’office  National de Participation au Développement
(3) Décret N° 2010/384 du 23 décembre 2010 portant création, organisation et fonctionnement de l’Agence du Service Civique National de Participation au Développement.
(4) Décret n°2012/086 du 09 mars 2012   fixant les modalités et les conditions de participation, d’encadrement et de coopération au titre du Service Civique National de Participation au Développement.
(5) Monsieur Kofi Annan, Secrétaire Général des Nations Unies, 5 décembre 2004

 

Achille Valery Mengo

Achille Valery Mengo

Achille Valery MENGO est diplômé de l’institut des relations internationales du Cameroun: option coopération internationale et action humanitaire.