États généraux de l’humanitaire: quand les échanges Nord-Sud deviennent réalité

1
77

etats-generaux-de-l-humanitaire-annemasse-humacoop-1L’Association Humacoop en partenariat avec La Cité de la Solidarité Internationale d’Annemasse a organisé les États Généraux de l’action humanitaire internationale les 27 et 28 novembre 2014. Cette rencontre se distinguait des réunions sur l’action humanitaire d’une part par la participation d’un nombre important d’acteurs d’Afrique et du Moyen-Orient, d’autre part par l’ambition d’identifier des aspects centraux de l’action humanitaire dans les années à venir.

Les interventions et débats eurent lieu autour de six thématiques :

  • Crises sanitaires et systèmes de santé publique avec référence à l’épidémie actuelle d’Ebola,
  • Aide humanitaire et coopération décentralisée,
  • Communication, plaidoyer et responsabilité des ONG,
  • Partenariat Nord-Sud, « pipo » ou nouveau credo ?
  • Rôle des ONG en zones de conflits,
  • Perspectives de l’action humanitaire.

Dans son introduction, le président d’Humacoop, Jean Chung Minh a précisé les grandes lignes du programme prioritairement consacré aux relations des ONG occidentales avec celles du Sud, la problématique de la communication internationale, celle concernant en particulier les ONG médicales et finalement le lien de l’action humanitaire d’urgence dans le développement durable.
Dans son intervention pour introduire les débats, François Rubio, directeur juridique de Médecins du Monde, a décrit le cadre juridique de l’action humanitaire d’urgence précisant que celle-ci était différente du développement.

Les deux premières thématiques ont de façon plus ou moins explicite contribué à établir le contexte social et politique de l’action humanitaire. Les participants n’ont pas pu résister à introduire dans le débat des réflexions allant bien au-delà de l’action humanitaire à proprement parler.

Les définitions ou conceptions de l’humanitaire très hétérogènes sont d’ailleurs un aspect qui est réapparu tout au long des deux jours avec, d’un côté, le rôle des ONG dans les politiques de santé publique, et de l’autre, leur rôle en fonction de la définition de ce qu’est l’humanitaire.

Pour les uns, il s’agit d’une notion relativement étroite limitée à l’urgence, pour d’autres, « humanitaire » inclut le développement ou toute action solidaire. La notion étroite exclut un rôle des ONG dans le développement du système de politique de santé publique dans les pays d’interventions. Dans l’autre conception, les ONG contribuent à développer et renforcer le système existant.

Le remplacement du terme humanitaire par le terme vulnérable comme le suggérait un participant ne changerait rien au problème fondamental concernant la différence entre l’action humanitaire d’urgence et le développement (incluant la reconstruction). L’action d’urgence en cas de conflits est couverte par le droit humanitaire international tandis que toutes les questions de développement sont soumises à la prérogative de l’État concerné. Ceci est d’ailleurs aussi le cas pour les catastrophes naturelles.

En ce qui concerne la coopération décentralisée, il a été admis que l’action humanitaire d’urgence n’est que secondaire contrairement aux problèmes du développement.

Dans la discussion autour de la problématique de la communication ont été dégagés plusieurs aspects. En premier lieu pour les ONG, vu la vitesse et les canaux de communication, il est central que la communication ne puisse se référer qu’à l’organisation elle-même et non aux personnes individuelles.

Selon Bruno David, directeur de communication d’Action contre la Faim, la communication des ONG avec le public se situe quelque part entre celle de Coca Cola ou de Ketchup. L’intervention d’Aicha El Basri, ancienne porte-parole de la MINUAD au Darfour, avait dénoncé le comportement des unités de Nations Unies violant le Droit international humanitaire. Néanmoins, ce rôle de lanceur d’alerte ne fait pas partie de la communication des ONG. Ici aussi, il y a eu consensus sur le fait que la communication des ONG, notamment à travers les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, etc.), est loin d’être objective.

Le débat sur les partenariats Nord-Sud fut très vif. Que les relations de partenariat des ONG du Nord avec celles du Sud soient loin d’être acquises a été généralement reconnu comme une réalité. Pour Kamel Mohanna, dans ce que nombre dénoncent comme humanitaire occidental voire impérial, on se trouve dans une situation où les ONG internationales se sont mutées en « BINGO », c’est-à-dire des business international nongovernmental organizations.

Un des problèmes identifiés est l’absence d’accès aux financements, soit des États individuels, soit des Nations unies ou de l’Union européenne. En dehors de la question des capacités des ONG du Sud, il est apparu évident que ces rapports Nord-Sud doivent devenir égalitaires. La question de la manière d’atteindre cet objectif désirable n’a néanmoins pas trouvé de réponse concrète. Cette question incluait aussi la référence à la société civile des pays du Sud. Elle joue certainement un rôle important à condition qu’une telle société existe. Mais existe-t-elle vraiment ? Une réponse ne fut pas vraiment envisagée.

Deux tables rondes étaient dédiées au rôle des ONG en zones de conflits. Un certain nombre de problèmes furent identifiés. Les ONG se voient confrontées à la coordination des bailleurs, à un nombre croissant d’acteurs non étatiques et à la difficulté croissante d’accès aux zones de conflits.

Les nouvelles technologies, en combinaison avec le remote control, peuvent en partie compenser l’accès aux zones bloquées. Il reste néanmoins le constat que le nombre de travailleurs humanitaires blessés ou tués s’est accru ces dernières années. La question de savoir si cette profession serait plus dangereuse que d’autres n’a pu trouver de réponse.

Il y a eu deux points litigieux sur ce problème des risques :

  • S’agit-il simplement d’une décision individuelle ou d’une responsabilité collective de l’organisation ? Ces deux options furent mises en avant.
  • Faut-il se retirer d’une zone de combat ou y rester coûte que coûte ? Il est évident qu’il n’est pas possible de trouver une solution unique, car il s’agit ici d’un dilemme humanitaire classique.

Dans la dernière table ronde sur les perspectives de l’action humanitaire, plusieurs idées furent mises en avant. Pour avoir plus d’influence et d’indépendance, la présidente d’Action contre la Faim, Stéphanie Rivoal, proposa une stratégie qu’elle caractérisa comme « effet de taille ». À nouveau, la nécessité d’impliquer de plus en plus les organisations du Sud fut évoquée : les acteurs du Sud seraient mieux informés et meilleur marché et ils auraient plus de connaissances.

Les enjeux dans les années à venir furent identifiés par un participant par le danger d’une paralysie opérationnelle, le manque d’indépendance financière, l’urbanisation et l’émergence de nouvelles crises.

Si ces États Généraux ont prouvé une chose, c’est que la pensée unique n’est pas à l’ordre du jour dans le milieu humanitaire : tout le monde est d’accord sur les problèmes de fond, mais en termes concrets, les divergences ou le manque d’idées spécifiques sont apparents.

Divergences d’abord sur le plan sémantique : il n’y a pas de consensus sur ce qu’est l’humanitaire. Certes, en principe, chacun peut avoir sa propre définition de l’humanitaire, mais ces divergences compliquent ou rendent impossible un consensus et donc une stratégie collective des ONG humanitaires. Par ailleurs, chaque organisation peut se désigner comme humanitaire qu’elle soit qualifiée ou non.

Ensuite, concernant la nécessité de relier urgence et développement, la question permettant de traduire cette conception dans une stratégie opérationnelle est loin d’être résolue.

Il en est de même concernant les partenariats. Personne ne conteste la nécessité ou la légitimité d’une telle approche. Mais comment y parvenir et avec quelles conséquences pour les ONG internationales ? Jusqu’à présent, il semble que les différentes ONG internationales poursuivent des stratégies individuelles à travers le fameux capacity building. Pour un transfert des actions humanitaires du Nord au Sud, il est aussi important d’évaluer les capacités et le niveau de professionnalisme de ces organisations.

Autres points de vue divergents : les ONG et les réseaux du Sud. Il semble qu’en réalité, beaucoup plus d’ONG humanitaires du Sud existent déjà comme des réseaux nationaux ou régionaux. Cependant, il y a un manque d’information de ce qui existe réellement. Il semble par ailleurs qu’on est encore loin d’une approche partagée par les ONG, les bailleurs et les ONG du Sud sur la façon de développer de façon systématique cette relation triangulaire.

Enfin, concernant les financements des bailleurs, les finances resteront certainement toujours derrière la demande. Mais un point important est la distribution des ressources, voire la redistribution. Ce problème concerne plutôt les bailleurs, les ONG ayant dans ce cas plutôt un rôle de plaidoyer et de mobilisation du public. Une responsabilité peut être attribuée aux ONG dans le cas d’une présence courte sur le terrain. Si elles quittent un pays, c’est dû au manque de financements et non à un choix délibéré.

La conclusion générale de ces deux jours est positive dans le sens où les débats ont identifié toute une liste de problèmes dont seuls quelques uns ont été mentionnés dans cet article. Ils ont été discutés avec des participants venant du Nord et du Sud, ce qui est rarement le cas.

Il reste à espérer que le cahier de charges que cette conférence a pu dresser servira dans le futur pour aller dans les détails et trouver des solutions pratiques. Ce cahier de charge a trouvé son expression dans la déclaration d’Annemasse qui a trouvé le soutien général à la clôture de la conférence :

Déclaration des États Généraux de l’Action humanitaire internationale d’Annemasse

Annemasse, le 28 novembre 2014

L’association Humacoop en partenariat avec la Cité de la Solidarité Internationale et soutenue par des acteurs associatifs et institutions a organisé les États Généraux de l’action humanitaire. Cet événement a été l’occasion de réunir des acteurs des pays du Sud, des représentants d’ONG et d’organisations internationales, ainsi que des journalistes, des universitaires, des élus locaux en charge de la coopération décentralisée pour une manifestation publique afin de décloisonner la réflexion des acteurs humanitaires et de croiser les regards sur les défis contemporains posés à la solidarité internationale.

Ce colloque a permis de remettre en perspectives les pratiques et les modalités d’intervention des acteurs humanitaires et également de faire le point sur les grands axes stratégiques et les prospectives des différents acteurs.

Les participants veulent initier un dialogue permanent entre les acteurs de l’action humanitaire internationale Nord-Sud.

Les acteurs réunis lors de ces deux journées recommandent de :

  • Interroger les populations et ONG du Sud sur leur acceptation et leurs priorités vis-à-vis des interventions, au même titre que les actions de coopération décentralisée font participer les populations et sociétés civiles de leur territoire.
  • Promouvoir l’égalité des rapports entre les ONG du Nord et les acteurs du Sud (ONG, société civile et Autorités locales) et renforcer la coopération et la complémentarité entre ONG nationales et internationales.
  • Renouer avec le sens militant et engagé de l’action humanitaire afin de redonner un sens aux interventions.
  • Faire reconnaître par les bailleurs les ONG du Sud, au même titre que celles du Nord, en tant qu’acteur central de l’action humanitaire et notamment en situation d’urgence.
  • Sensibiliser les institutions internationales et les bailleurs de fonds à l’importance d’intervenir en amont sur le développement des secteurs/pays fragiles.
  • Inscrire l’action humanitaire, bien souvent démarche de court terme, dans un contexte de durabilité.
  • Analyser, évaluer et critiquer les actions humanitaires au même titre que les projets de développement.
  • Mettre en œuvre des programmes durables et pérennes qui n’obéissent pas uniquement à la logique « projet » des bailleurs.
  • Centrer les interventions de terrain sur une réponse efficace face aux vulnérabilités plutôt qu’axée sur la visibilité.
  • Adopter des règles de coopération et d’éthique entre ONG nationales et internationales.
  • Renforcer les programmes de transfert de capacités (formation d’agents de santé communautaire, infirmiers, etc.) pour permettre aux ONG du Sud de consolider leur expertise.

 

Wolf-Dieter Eberwein

Wolf-Dieter Eberwein

Wolf-Dieter Eberwein a été président de Voice de 2008 à 2012.